Tom Pouce revisité


Ebauche

Un écrivain était en panne, en panne d’inspiration. Il invoquait les dieux, les Muses, les idées ; sondait son cœur, la nature, les livres mais rien ne lui venait. Sec, il restait sec.  Il avait tout essayé : la description du monde, l’essai, la poésie… l’écriture courte, automatique, absurde. Même le roman de gare !  Mais, comme un champ aride, plus un mot ne germait. La page restait vide, et blanche, et éthérée.
La tête entre ses doigts, il se désespérait. Contemplait chacun d’eux leur parlait tour à tour.
-          Ô Vous pouces et index, qui teniez cette plume, ne pourriez-vous faire naître, de votre propre gré, un roman, une histoire, ou un conte de fée ?
Tandis qu’il leur parle, il se coupe le pouce dans le tranchant d’une feuille. Une goutte carmin tombe sur la page blanche. Il y trempe sa plume qui l’absorbe d’un coup, tel un vampire avide.

Soudain, devant les yeux médusés de notre homme, prend forme une chimère. Un rien, un grain de sable. Il la laisse glisser. Elle nage sur la page. Un mot et puis un autre, une forme sans cheveux se tisse, s’organise-là. Ebaubi, en émoi, il emboîte son pas.
-          Tu t’appelleras  « Echauche ». Ebauche sans queue ni tête…
Peu importe. Il l’embauche. Chétive, balbutiante encore, il la couche sur la feuille, avec délicatesse. Elle est frêle et fragile. Il pourrait la briser.
-          Suis ton chemin ma fille. Croît et fortifie-toi. Et va ou bon te semble. Où ? Ca je ne le sais pas !

Et la voilà partie. Mais quelle route emprunter ? Un haïku, c’est trop court, et trop japonisant. Le fleuve d’un roman ?…  au moins est-ce inspirant ! Elle s’embarque, met les voiles mais pas besoin de souffle, le courant la transporte.  Soudain un tourbillon, le voici qu’il l’entraîne, il l’aspire, la recrache
sur le bord de la rive.
Elle s’ébroue, se secoue. Elle semble toute sonnée.  Se sèche, grelotte, éternue. Une ébauche enrhumée ? Elle avise sur le bord une feuille de choux. Elle fera son affaire. Ebauche s’y entortille, s’y endort un moment.


Passe un canard gourmand qui l’avale aussitôt.  C’est pas de bon augure, ces entrailles de volailles !  Elle braille, fait tapage, il faut bien qu’elle sorte. L’espace est trop petit, elle veut voir du pays. Elle fait un tel tapage, qu’il veut la débaucher. Mais pas le temps d’agir :
Pan ! Le chasseur a tiré. Le canard s’est pris un coup de plomb dans l’aile. Il penche dangereusement. Ebauche s’est faufilée sur une plume bleue, une plume Pégase qu’elle chevauche dans le vent. La voici qui tournoie et revient se poser…
délicate et légère,
sur la page du cahier,
pour conter son voyage,
pour conter son histoire….

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

I l y a une trentaine d’années, je me liai durablement avec une jeune adolescente. Cette relation   avait pourtant très ...