Monsieur le comte de Fê n’aimait pas les fées. Leurs
frous-frous, leurs facéties, leurs artifices farfadets, fanfreluches et tous
l’tralalala….frrtfrrrrttt… tout cela l’ennuyait.
Dans son château, il avait accroché des panneaux un peu partout : passage
interdit aux fées. « Entrée interdite aux fées » ; « parking privé, interdit
aux fées ». Mais ça n’empêchait pas ces finaudes de le narguer.
Savaient-elles lire au moins ? Et
puis, le problème, avec les fées, c’est leur transparence … elles sont très
difficiles à capturer parce que difficiles à voir sauf à se lever de très bonne
heure, à l’aube. La lumière qui filtre d’un volet permet parfois de saisir leurs
contours.
Un jour donc, au petit matin, sous le dernier
rayon de lune de la lucarne du grenier, le comte se cacha derrière une grosse
malle et attendit. Soudain, il en aperçut une qui venait de lui chaparder une
petite grenouille dorée. Avant même
qu’il ait le temps de dire ouf… la maligne avait filé en emportant la
roussette. Ses malheureuses pattes gesticulaient encore en criant – QUOA ? QUOA
? PourQUOA MOA ? MOA ? Il en eut le cœur
tout serré : c’était sa grenouille préférée.
-
Ah palsembleu, il suffit maintenant ! Je vais vous
apprendre, moi, à respecter la propriété privée !
Il songea aux poudres d’escampette ou de
perlimpinpin, poudres de pimprenelle ou de saperlisapin… Oui, bien sûr, bien
sûr ! Toutefois, le plus simple, se dit-il, ce serait de tendre des pièges… des
pièges à fées !
Aussitôt dit,
aussitôt fait : il se rendit dans son atelier et à l’aide de fils d’araignées
et d’un métier à tisser, il fabriqua de grands filets. Il les tendit un peu
partout dans le château et plus particulièrement dans le grenier. Lorsqu’il eut
constaté la solidité de son ouvrage, il inventa des lorgnettes à faisceaux
violets afin de pouvoir distinguer n’importe quand ces importunes.
Ensuite il attendit. Un jour, trois jours, six jours.
Rien. Aucune prise. Pas âme de fée qui vive. Il commençait à désespérer quand,
le septième jour, dès son réveil il entendit :
-
Flûte ! ffffut ! fffOu la la… comment fais-je me
ffffortir de là ?
Monsieur de Fê se frotta les mains.
Attrapant sa robe de chambre, il glissa ses gros pieds dans ses pantoufles et
se dirigea d’un pas tranquille vers la mansarde.
Entortillée comme en cocon, la fée
prisonnière tournoyait sur elle-même.
-
O la ffête me tourne, la ffête me tourne ! Défachez-moi
je vouf en fupplie ! Je fais me trouffer mal.
Le comte s’approcha, et, chaussant
ses bésicles, il prit le temps d’observer sa prisonnière : Elle fofottait ! Une
fée qui fofotait, ça, ce n’était pas banal !
Les bras croisés, il s’adressa à la
fée, et lui dit d’une voix calme :
-
La tête vous tourne ? Tiens tiens tiens ! Mais… Je ne
vous ai pas entendu sonner. Quel bon vent vous amène ?
La petite captive rougit, bien embarrassée
:
-
Euh… foui, bien fûr… comment dire… Mais f’est pas ma
faute.
Elle continuait à tournoyer comme un saucisson suspendu à une
poutre puis ne dit plus un mot.
Fê commençait lui-même à avoir le
tournis. Il stoppa le mouvement de pendule du cocon et s’aperçut que sa fée
s’était évanouie.
-
Pas très costaudes, ces
freluquettes… un petit tour de manège et puis s’en vont ! pensa-t-il.
Mais monsieur le
comte était un gentleman. Alors il desserra, fil après fil, l’étreinte du
corset de soie qui enserrait sa prisonnière. Quelques fibrilles argentées
s’étaient emmêlées dans ses cheveux blonds. Précautionneusement, il délia chaque
nœud, puis écartant une mèche qui lui barrait le front, il vit apparaître,
médusé, le beau visage de sa fée.
Monsieur le Comte de Fê n’aimait
pas les fées… le nombre d’entourloupettes qu’elles lui avaient faites ! Et
cependant, là, sous ses yeux, cette petite fée zozotante lui faisait un drôle
d’effet ! Il se gratta la tête et réfléchit.
-Ah sapristi, elle est en train de m’entortiller dans
quelque sortilège ! Il faut que je me méfie. Moi ? Tomber amoureux ? Et d’une
fée zozotante ? Jamais de la vie !
Mais plus il la contemplait et moins il ne pouvait détacher
son regard de cette merveille de finesse et de transparence. Elle sentait une
odeur de violette.
Fê la déposa délicatement dans un berceau de poupée qui
terminait sa vie dans le grenier, puis s’éloigna, songeur et troublé, sur la
pointe des pieds.
Alors qu’il était plongé dans ses rêveries, la petite
prisonnière s’était éveillée et le considérait à son tour. Elle agita sa
baguette magique pour rappeler sa présence au bon souvenir du comte.
-
Ohé ! Ohé ! y’a quelqu’un ?
Le regard plongé dans le vague se recentra sur la mistinguette qui s’adressait à lui, les deux bras sur les hanches.
-
Z’ai pas que fa à faire moi ! Ou fou me relâchez, ou
fou me tuez. Mais ne me faîtes pas mariner comme fa !
Monsieur le
Comte de Fê n’aimait pas les fées… mais celle-ci était si culottée !
-
Comment vous appelez-vous mademoiselle l’effrontée ? Vous croyez-vous en position de
négocier ?
La fée s’embarrassa un peu.
Bien sûr que non... Mais qui était ce grand nigaud qui la contemplait
avec des yeux de merlans frits ? Elle papillota ses yeux et ses ailes, pour
faire un peu d’effets…
- Je m’appelle Folie.
-
T’es drôlement folie Folie, s’amusa le Comte en
l’imitant.
Folie rougit. Folie sourit. Le Comte aussi.
Et c’est ainsi que le Comte, croyant capturer une fée, fut
lui-même bien attrapé !
Pourquoi se rebiffer ? Il était bien plus simple de
l’embrasser, tout compte fait.
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