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oum !
Boum ! Le jardinier a déclaré la guerre aux limaces. Elles dévorent ses
salades. A grand coup d’armes chimiques, il bombarde son jardin. Elles ont
pourtant été interdites à la convention de Genève, ces armes chimiques, mais il ne s’en soucie pas, le jardinier, il ne
veut pas manger de salades toutes trouées comme du gruyère et toutes dégoulinantes
de baves de limaces.
Beaucoup
de limaces sont mortes. D’autres, comme les membres de la famille de Lili, qui habitent en bordure du
jardin, (rue des feuilles froissées), ont résisté.
Dans
cette maison, c’est comme dans un jeu
des sept familles : il y a le père, la mère, le grand-père, la grand-mère,
le fils et la fille Lili (Les limaces aiment la symétrie). Après un nouvel
attentat particulièrement meurtrier, le père déclare :
-
Si nous voulons avoir une chance de survivre, il faut partir, trouver une
autre terre d’accueil.
Tout le
monde est d’accord mais le grand-père et la grand-mère savent qu’ils ne
pourront pas les accompagner. Ils sont trop âgés, le voyage est trop long, ils
retarderaient leurs chers enfants. Et
puis la grand-mère est malade.
Les
adieux sont difficiles. On pleure beaucoup, on gaspille des milliards de
kleenex.
-
Cessez de pleurnicher, dit le grand-père d’une voix lézardée par le
chagrin, et allez-y !
Balluchons
sur l’épaule, les voilà parties. Hélas hélas, elles sont nombreuses sur les
chemins, les limaces expatriées. C’est la cohue. Elles ont faim, elles ont
soif. Pour trouver la terre promise, il faut franchir une rivière. De l’autre
côté, peut-être seront-elles être plus heureuses. Elles pourront vivre à
l’abri, sans danger.
Sur le bord de l’eau, la foule se presse. Il n’y a pas beaucoup
d’embarcations mais beaucoup de candidats au départ. Les escargots aussi
veulent partir. C’est l’hiver. Il fait froid. La famille trouve une place à
bord d’une frêle feuille de saule. Mais soudain, tout devant, on entend des
cris. Un bateau trop chargé, a coulé et des amis se sont noyés. La traversée
est longue et dure plusieurs jours, plusieurs nuits. Comme Lili a faim, elle commence
à grignoter son bateau-feuille et son père la gronde. « Lili, tu veux tous
nous perdre ! ». Lili pleure, sa mère ne la console pas. Elle doit
être forte et courageuse.
Ensuite il faut parcourir des kilomètres, à pied. Et une limace, ça
n’avance pas très vite, même ventre à terre, surtout en tenue de camouflage. La
traversée des routes est dangereuse. Son frère ne continuera pas le chemin. On
dirait que sa mère lui en veut à elle, d’être encore en vie. Lili pense que c’est
parce qu’elle est très triste.
Enfin un jardin se présente devant leurs yeux. Mais beaucoup d’autres
migrants sont arrivés avant eux. Pour les accueillir, des pancartes des
autochtones : « Restez-chez-vous ! Vous mangez notre pain. Il
n’y a pas assez de place pour tout le monde. Dehors ! » Lili n’a pas
mangé depuis plusieurs jours et elle est épuisée. Elle ne comprend pas qu’on
refuse de l’accueillir. Est-ce que la terre n’appartient pas à tout le
monde ? Est-ce que la planète n’est pas notre jardin ? Elle voudrait
juste pouvoir vivre avec sa famille dans un endroit paisible. Pourquoi pas
elle ? Les grosses loches ne pensent pas ainsi et ont construit un mur de
séparation. Un mur très haut et très long pour empêcher quiconque d’entrer sur
leur territoire. Par un souterrain, Lili et sa famille parviennent de l’autre
côté.
Mais d’autres difficultés les attendent encore. Pour rester sur cette
terre, il faut des tas de papiers, des coups de tampons visés par le bureau des
escargots de Bourgogne. Sinon, dehors ! Le père de Lili est reconduit à la
frontière du jardin. Lili et sa mère se sont cachées. Mais elles sont seules à
présent. Malgré son chagrin, pour faire sourire sa mère, Lili la limace se met
à faire des grimaces. Sa mère rit aux larmes. Elle découvre qu’elle a un don
comique.
Sur le tas de compost du nouveau jardin, à la nuit tombée, dans la
fraicheur du soir, la voilà imitant le président, François Jardiland et son
copain Nicolas PetitGris. Tous les gastéropodes sont pliés en deux. Lili se
tortille, invente des sketches, se maquille. Même les grosses loches toutes
moches et agressives en redemandent. Elle peut rester. On lui donne des
papiers. Elle envoie de l’argent à ses grands-parents et à son père mais elle
voudrait aussi faire quelque chose pour tous ses frères. Lili n’a pas oublié la
misère.
Elle est devenue une vraie femme maintenant. Elle réunit tous ses
nouveaux amis, prononce un discours en cachette et dans la nuit, les voilà tous partis munis de bâtons. Ils
vont briser le mur. Le mur qui clôture. Ils vont ouvrir des portes, pour que
l’on entre, pour que l’on sorte.
Et qu’ils arrêtent, avec toutes leurs salades !
Parole de Limace.
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